Phlébologie Annales Vasculaires    Société Française de Phlébologie
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Catalogue / article

2006, 59, 4, p.307-308

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Congestion ou stase... un peu de sémantique

Congestion or stasis... a question of semantics

Auteurs/Authors : Langeron P.

Résumé :

La pathologie veineuse pelvienne chez la femme a été très heureusement inscrite au programme de la réunion de la Société Française de Phlébologie du 3 juin 2006 à Lyon. M'étant dans le passé particulièrement intéressé à cette question, je ne puis que m'en réjouir. Je voudrais cependant rappeler que, dans les années 50 et les suivantes, un certain nombre de publications françaises ont abordé – sous divers angles – la physiologie et les dysfonctionnements de cette circulation, faisant généralement mention de syndromes de stase et non de congestion.

A l'époque, cette pathologie n'avait pas suscité beaucoup d'intérêt chez les angiologues et gynécologues pourtant intéressés au premier chef ; mais, depuis quelque temps, en relation avec les progrès de nos explorations, nous voyons resurgir cette question.

Le terme qui semble actuellement le plus souvent utilisé est celui de « congestion ». Je pense à ce propos, que certains points de sémantique méritent d'être précisés. Le mot « congestion » est indiscutablement français ; ainsi, on trouve dans le parler courant, voire populaire, les termes de « congestion pulmonaire », de « visage congestionné » et, en cas de noyade en période digestive, on accusait volontiers autrefois une congestion (terme actuellement remplacé par hydrocution).

Ce terme a été repris par l'anglais mais avec un sens sensiblement dévié : en français, la congestion ou état congestif implique un hyperafflux sanguin, voire l'infiltration hématique d'un tissu ou d'un organe.

En anglais, si j'en crois mon dictionnaire, « congestion » signifie simplement : embouteillage, encombrement… et ne prend pas en compte la notion d'hyperafflux.

Le même mot a donc pris dans nos deux langues deux sens différents. On observe le même phénomène avec l'adjectif « invasif » qui est un terme français qui signifie envahissant alors qu'en anglais « invasive » a pris le sens d'agressif, vulnérant… Cette double signification d'un même mot entretient une certaine ambiguïté : si, en effet, la signification française nous fait facilement comprendre qu'un cancer peut être ou non « invasif », il est beaucoup moins évident qu'une simple technique d'exploration, par exemple, puisse être « envahissante » ! De même, le terme « congestion » ne peut s'appliquer – stricto sensu – à des états de stase. Le fait que la signification de ces termes soit différente en français et en anglais ne doit pas pour autant nous faire adopter le sens anglo-saxon. En somme, en utilisant « congestion pelvienne », en fonction d'une certaine anglomanie en vogue, on abandonne le français et on sacrifie au franglais !

N'abandonnons donc pas le terme stase (qui dit bien ce qu'il veut dire) au profit de congestion (très imprécis et qui ne rend pas compte de la nature du phénomène).

Ce sera plus difficile (mais non impossible) pour « invasif » qui semble déjà profondément ancré dans la littérature médicale française.

Un exemple autoroutier fera peut-être mieux comprendre la différence entre congestion par hyperafflux et stase en amont d'un obstacle. Lors des grandes migrations saisonnières, nos autoroutes sont encombrées de véhicules. Il s'agit d'un hyperafflux, responsable de la circulation en accordéon que nous connaissons bien. Dans le cas d'un accident, le blocage de la circulation est dû par contre à des difficultés d'écoulement de la circulation, déterminant une stase en amont. Si les deux mécanismes peuvent avoir des conséquences qui se rejoignent, ils diffèrent par leur cause et leur nature.

En pathologie veineuse pelvienne, on pourrait parler de « congestion » en cas, par exemple, de fistule artério-veineuse ou de dérivation circulatoire (syndrome de vol)… mais il s'agit généralement de simples difficultés au retour veineux, donc d'un syndrome de stase. Du point de vue sémantique, la distinction entre congestion et stase mérite d'être faite parce qu'il s'agit de processus différents mais aussi parce qu'à des troubles de nature différente doivent être opposées des thérapeutiques appropriées. Je signalerai enfin que l'anglais admet parfaitement le mot « stasis » et que parler de stase ne doit pas en principe surprendre une oreille anglophone ! On observera également que « congestion » disparaît pratiquement peu à peu du vocabulaire médical : on ne parle plus de « congestion cérébrale » mais d'accident vasculaire cérébral !… La Phlébologie devrait-elle être une exception ?

Me méfiant toutefois de mon interprétation, j'ai pris – par précaution – l'avis du Comité d'étude des termes médicaux français qui a confirmé mon point de vue : une distinction est effectivement à faire entre – la congestion : phénomène actif – et la stase : phénomène essentiellement passif.

Pour clore ces considérations, et en tirer une conclusion, efforçons-nous, en France (ainsi que dans notre espace francophone) et aussi en Phlébologie de parler français et non franglais.

RÉFÉRENCES

(Limitées, pour mémoire et par ordre chronologique, aux travaux en langue française publiés avant 1991)

  • Guilhem P., Baux R. La phlébographie pelvienne par voie veineuse osseuse et utérine. Masson Ed. Paris 1954.
  • Joyeux R., Colin D. Troubles statiques utérins avec dystrophie ovarienne dans le post-partum. Rôle de la stase veineuse. Ann Chir 1953 ; 17 : 1475.
  • Roux G. Les grandes algies pelviennes dites essentielles de la femme et leur traitement. Lyon Chir 1957 ; 53 : 683-7.
  • Guilhem P. Indications de la phlébographie pelvienne en pratique gynécologique. Ann Chir 1958 ; 12 : 152-63.
  • Camunez S.E. La pathologie veineuse génitale de la femme et son diagnostic par phlébographie. Gyn pratique 1962 : 363.
  • Langeron P., Quehen E. Les algies pelviennes chez la femme. Ann Chir 1966 ; 20 : 1096-108.
  • Leroux P., Magre J. Algies pelviennes et troubles de la vascularisation utérine. Bull Féd Soc Gyn Obst 1971 ; 23 : 100-6.
  • Viala J.L. Conséquences gynécologiques de la stase veineuse pelvienne. Artères et Veines 1989 ; 8 : 638-42.
  • Bruhat M.A., Mage G., Paulettoi B. Les algies pelviennes d'origine veineuse. Phlébologie 1989 ; 42 : 427-49.
  • Kamina P., Chansigand J.P. Anatomie fonctionnelle des veines pelviennes chez la femme. Phlébologie 1989 ; 42 : 363-84.
  • Langeron P. Stase veineuse lombo-pelvienne chronique. Pathogénèse et physiopathologie générale. Artères et Veines 1991 ; 10 : 325-30.
  • Langeron P. Stase veineuse pelvienne. Incidences gynécologiques. Peut-on individualiser une phlébologie gynécologique ? Phlébologie 1991 ; 44 : 381-93.
  • Summary :

    La pathologie veineuse pelvienne chez la femme a été très heureusement inscrite au programme de la réunion de la Société Française de Phlébologie du 3 juin 2006 à Lyon. M'étant dans le passé particulièrement intéressé à cette question, je ne puis que m'en réjouir. Je voudrais cependant rappeler que, dans les années 50 et les suivantes, un certain nombre de publications françaises ont abordé – sous divers angles – la physiologie et les dysfonctionnements de cette circulation, faisant généralement mention de syndromes de stase et non de congestion.

    A l'époque, cette pathologie n'avait pas suscité beaucoup d'intérêt chez les angiologues et gynécologues pourtant intéressés au premier chef ; mais, depuis quelque temps, en relation avec les progrès de nos explorations, nous voyons resurgir cette question.

    Le terme qui semble actuellement le plus souvent utilisé est celui de « congestion ». Je pense à ce propos, que certains points de sémantique méritent d'être précisés. Le mot « congestion » est indiscutablement français ; ainsi, on trouve dans le parler courant, voire populaire, les termes de « congestion pulmonaire », de « visage congestionné » et, en cas de noyade en période digestive, on accusait volontiers autrefois une congestion (terme actuellement remplacé par hydrocution).

    Ce terme a été repris par l'anglais mais avec un sens sensiblement dévié : en français, la congestion ou état congestif implique un hyperafflux sanguin, voire l'infiltration hématique d'un tissu ou d'un organe.

    En anglais, si j'en crois mon dictionnaire, « congestion » signifie simplement : embouteillage, encombrement… et ne prend pas en compte la notion d'hyperafflux.

    Le même mot a donc pris dans nos deux langues deux sens différents. On observe le même phénomène avec l'adjectif « invasif » qui est un terme français qui signifie envahissant alors qu'en anglais « invasive » a pris le sens d'agressif, vulnérant… Cette double signification d'un même mot entretient une certaine ambiguïté : si, en effet, la signification française nous fait facilement comprendre qu'un cancer peut être ou non « invasif », il est beaucoup moins évident qu'une simple technique d'exploration, par exemple, puisse être « envahissante » ! De même, le terme « congestion » ne peut s'appliquer – stricto sensu – à des états de stase. Le fait que la signification de ces termes soit différente en français et en anglais ne doit pas pour autant nous faire adopter le sens anglo-saxon. En somme, en utilisant « congestion pelvienne », en fonction d'une certaine anglomanie en vogue, on abandonne le français et on sacrifie au franglais !

    N'abandonnons donc pas le terme stase (qui dit bien ce qu'il veut dire) au profit de congestion (très imprécis et qui ne rend pas compte de la nature du phénomène).

    Ce sera plus difficile (mais non impossible) pour « invasif » qui semble déjà profondément ancré dans la littérature médicale française.

    Un exemple autoroutier fera peut-être mieux comprendre la différence entre congestion par hyperafflux et stase en amont d'un obstacle. Lors des grandes migrations saisonnières, nos autoroutes sont encombrées de véhicules. Il s'agit d'un hyperafflux, responsable de la circulation en accordéon que nous connaissons bien. Dans le cas d'un accident, le blocage de la circulation est dû par contre à des difficultés d'écoulement de la circulation, déterminant une stase en amont. Si les deux mécanismes peuvent avoir des conséquences qui se rejoignent, ils diffèrent par leur cause et leur nature.

    En pathologie veineuse pelvienne, on pourrait parler de « congestion » en cas, par exemple, de fistule artério-veineuse ou de dérivation circulatoire (syndrome de vol)… mais il s'agit généralement de simples difficultés au retour veineux, donc d'un syndrome de stase. Du point de vue sémantique, la distinction entre congestion et stase mérite d'être faite parce qu'il s'agit de processus différents mais aussi parce qu'à des troubles de nature différente doivent être opposées des thérapeutiques appropriées. Je signalerai enfin que l'anglais admet parfaitement le mot « stasis » et que parler de stase ne doit pas en principe surprendre une oreille anglophone ! On observera également que « congestion » disparaît pratiquement peu à peu du vocabulaire médical : on ne parle plus de « congestion cérébrale » mais d'accident vasculaire cérébral !… La Phlébologie devrait-elle être une exception ?

    Me méfiant toutefois de mon interprétation, j'ai pris – par précaution – l'avis du Comité d'étude des termes médicaux français qui a confirmé mon point de vue : une distinction est effectivement à faire entre – la congestion : phénomène actif – et la stase : phénomène essentiellement passif.

    Pour clore ces considérations, et en tirer une conclusion, efforçons-nous, en France (ainsi que dans notre espace francophone) et aussi en Phlébologie de parler français et non franglais.

    RÉFÉRENCES

    (Limitées, pour mémoire et par ordre chronologique, aux travaux en langue française publiés avant 1991)

  • Guilhem P., Baux R. La phlébographie pelvienne par voie veineuse osseuse et utérine. Masson Ed. Paris 1954.
  • Joyeux R., Colin D. Troubles statiques utérins avec dystrophie ovarienne dans le post-partum. Rôle de la stase veineuse. Ann Chir 1953 ; 17 : 1475.
  • Roux G. Les grandes algies pelviennes dites essentielles de la femme et leur traitement. Lyon Chir 1957 ; 53 : 683-7.
  • Guilhem P. Indications de la phlébographie pelvienne en pratique gynécologique. Ann Chir 1958 ; 12 : 152-63.
  • Camunez S.E. La pathologie veineuse génitale de la femme et son diagnostic par phlébographie. Gyn pratique 1962 : 363.
  • Langeron P., Quehen E. Les algies pelviennes chez la femme. Ann Chir 1966 ; 20 : 1096-108.
  • Leroux P., Magre J. Algies pelviennes et troubles de la vascularisation utérine. Bull Féd Soc Gyn Obst 1971 ; 23 : 100-6.
  • Viala J.L. Conséquences gynécologiques de la stase veineuse pelvienne. Artères et Veines 1989 ; 8 : 638-42.
  • Bruhat M.A., Mage G., Paulettoi B. Les algies pelviennes d'origine veineuse. Phlébologie 1989 ; 42 : 427-49.
  • Kamina P., Chansigand J.P. Anatomie fonctionnelle des veines pelviennes chez la femme. Phlébologie 1989 ; 42 : 363-84.
  • Langeron P. Stase veineuse lombo-pelvienne chronique. Pathogénèse et physiopathologie générale. Artères et Veines 1991 ; 10 : 325-30.
  • Langeron P. Stase veineuse pelvienne. Incidences gynécologiques. Peut-on individualiser une phlébologie gynécologique ? Phlébologie 1991 ; 44 : 381-93.
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